Bailasan et Basela à l’Alcazar 

"On est arrivées à Marseille en 2013. On fuyait la guerre en Syrie. On vivait dans la banlieue de Damas, le quartier palestinien de Yarmouk. Nous sommes à la base des réfugiées palestiniennes en Syrie et aujourd’hui des réfugiées syriennes en France.

Ça a été très dur, mais toute notre famille a réussi à venir à Marseille. Parents, enfants, petits-enfants, certains avec des visas, d’autres comme réfugiés politiques et d’autres encore clandestinement, par la mer. En juillet 2013, on s’est tous retrouvés sains et sauf à Marseille, dans le bar de mon frère qui est là depuis 10 ans, La Mer Veilleuse ! Et c’est le début d’une autre histoire pour notre famille après un deuxième déracinement.

Basela – En Syrie, j’étais dans la révolution et les réseaux de femmes révolutionnaires. Ici, ça a été très dur au début. Le sentiment d’inutilité face à tout ce qui se passe là-bas. L’attente. Ne pas savoir combien de temps. Est ce qu’il faut reconstruire une vie ici, ou est ce qu’on va rentrer ? Il faut apprendre une nouvelle langue, recréer du lien à une ville, replanter des racines.

J’ai tout de suite cherché un lieu pour me sentir bien. J’aime avoir des lieux fixes, des endroits où on me connaît, des repères. Ça me soigne un peu d’avoir des habitudes quelque part.

Le premier endroit ça a été la bibliothèque Alcazar. Il y avait tout ici. Les livres en français pour apprendre la langue. J’ai commencé par les livres pour les enfants et maintenant pour adolescents. Mon rêve c’est de comprendre et parler très bien le français. Sans la langue, tu n’es rien. Et, il y a un ordinateur pour se connecter à internet, rester en lien avec les gens là-bas.

Je n’avais aucun papier en arrivant, juste un recépissé de demande d’asile, c’est tout. Ils ont accepté de m’inscrire à la bibliothèque. J’étais tellement contente d’avoir ma carte de bibliothèque. Mon premier papier officiel en France avec mon nom et mon prénom.

Bailasan –  L’Alcazar c’est un endroit important pour toute notre famille, surtout parce que c’est là où mon grand-père va tous les jours depuis qu’on est arrivé. C’est son équilibre. C’est le lien qu’il garde avec les livres, avec sa langue. Quand l’Alcazar est fermé le dimanche et le lundi, il est de très mauvaise humeur. Et aussi quand il y a un retard sur les journaux arabes, un décalage de un jour ou deux. Quand il rentre, on sait tout de suite si il y a eu un problème de journal.

Moi, j’y vais pour emprunter des films. Pour apprendre la langue. Je prends des films français. Je ne les aime pas du tout. C’est froid. Il n’y a pas d’histoire, pas d’action. C’est très ennuyeux. Mais ça aide pour le français.

Au début, j’étais vraiment très contente d’arriver à Marseille, parce qu’on avait transité par l’Égypte et que là-bas pour nous c’était vraiment dur. On était tellement content d’être tous là, sains et saufs. Mais il y a la réalité d’après l’arrivée. Au bout de quelques mois ici, ça a été le désastre. J’étais au lycée mais c’est comme si je reprenais l’école à zéro. Il y a tellement de peurs qui arrivent quand tu ne parles pas la langue. Avec les jeunes de mon âge, je suis devenue très timide alors que ce n’est pas ma nature. Au bout d’un moment tu ne sais même plus si tu sais communiquer normalement.

Aujourd’hui, je ne sais pas si c’est ce qui a été fragilisé en moi qui se reflète sur les autres, sur la ville et que je vois tout en gris. Mais je ne me sens pas à l’aise ici. Je pense que ma vie est ailleurs, dans une autre ville, plus honnête, plus respectueuse, plus ouverte…"

Recueil des témoignages : Sarah Champion-Schreiber
Photos : Cyril Becquart
Portrait réalisé avant la crise du COVID.