Antoine, à l’angle des Petites Maries

"Je vis à Marseille depuis 18 ans, je suis arrivé en 1998, j’ai toujours vécu au centre-ville à Marseille. J’ai souvent déménagé. Belsunce, j’y ai vécu dix ans en tout. Une première fois pendant deux ans rue des Convalescents et huit ans ici à l’angle, rue des Petites Maries.

Mon fils, Khalil, a été à la crèche ici, à l’école maternelle et à la primaire et maintenant au collège. Pour la petite histoire, à l’entrée en maternelle, dans sa classe, tous les enfants avaient des prénoms arabes sauf un qui s’appelait Clément. C’était un Chinois et qui parlait anglais. Après ça a changé, il y a plus de Chinois, quelques Comoriens. L’école Maurice Korsec, on m’a dit que c’est la première école de France à avoir été classée ZEP. Beau palmarès pour le quartier ! C’est en tout cas une très bonne école avec une super équipe.

Moi, je travaille boulevard d’Athènes. Donc ma vie disons elle tourne sur ce quartier. J’ai quelques lieux où je vais régulièrement. Chez Mounir pour venir boire le café le matin, boire un thé l’après-midi. C’est aussi un hôtel. Je sais que les vieux qui vivent ici, ils n’ont pas chacun une chambre. Ils sont trois-quatre par chambre. Tu peux le voir quand tu passes dans la rue un peu plus loin, quelque fois la fenêtre est ouverte et tu vois qu’il y a plusieurs lits dans de toutes petites chambres. Ce sont des retraités qui vivent moitié ici, moitié en Algérie.

J’aime venir ici, à cause des visages des gens qui ont vécu, des visages vieillis.

J’y trouve de la douceur. Et aussi parce que je peux venir seul sans me sentir mal. C’est un des rares endroits où je ressens ça. J’ai aussi mes habitudes au restaurant de grillades juste à côté. C’est pas cher et on mange copieusement. Il y a quelque chose d’assez familial dans la nourriture qui me fait penser à ce que je peux manger quand je vais chez ma mère, c’est-à-dire des patates, des haricots, de la viande en sauce. Et c’est en bas de chez moi.

Je me suis toujours senti assez à l’aise, dans le quartier. C’est un quartier qui vit la journée. A partir de vingt heures, il y a un passage, c’est assez étonnant comment les rues se vident en une demi-heure, trois quart d’heure. Le soir, il n’y a plus personne. C’est vide. C’est un quartier calme.

La nuit pourtant, ça grouille de rats. Il y a un figuier là, c’est l’arbre à rats. Le soir, les restaurants sortent les carcasses de viande. Ils les mettent telles quelles dans des sacs poubelle, dans trois-quatre poubelles là, et c’est le garde-manger des rats. Certaines nuits, j’en ai vu une centaine sur les poubelles et qui grimpaient à l’arbre.

C’est un quartier qui est relativement préservé des évolutions, ce que je trouve pas mal. Quand il m’arrive de sortir du quartier, de monter à la Plaine, en marchant cinq minutes, j’ai l’impression de changer de ville. Je trouve que c’est assez fort ce sentiment. Les touristes ne viennent pas visiter Belsunce alors qu’il y a un côté poétique. Si je devais extraire une essence de Marseille… ce serait ici. Il y a peut-être plus de circulation à Noailles, mais si tu enlèves le quartier de Belsunce à Marseille, tu lui enlèves son cœur. En descendant les marches de la gare, c’est la première couleur que tu perçois de la ville."

Recueil des témoignages : Sarah Champion-Schreiber
Photos : Cyril Becquart
Portrait réalisé avant la crise du COVID.