Joëlle, rue du Relais
"Je suis marseillaise, ça c’est sûr. Je suis née aux Aygalades, quartiers nord. Quand j’étais petite, ma mère, bien sûr, elle nous descendait au centre pour faire les courses. Mes meilleurs souvenirs sur le cours Belsunce, c’est les cireurs de chaussures. Ils installaient leurs clients sur des chaises hautes et ils crachaient sur les chaussures pour les faire briller ! Et au coin de la rue des Fabres, il y avait Madame Carnot, c’était une libraire régionaliste. Elle vendait des livres en provençal, d’ailleurs elle s’y était même un peu essayée, mais surtout elle vendait toutes les chansons, on les achetait à la feuille… Gilbert Bécaud, Cora Vaucaire, Yves Montand. En rentrant à la maison, je chantais les chansons.
Il y a des endroits à Belsunce où je n’avais pas le droit d’aller. Rue Thubaneau, rue des Récolettes, rue du Baignoir, à cause des prostituées. Les garçons, eux, y allaient pour se faire déniaiser comme on disait. Mais les jeunes filles, on n’y mettait pas les pieds! « Tu vas finir à Thubaneau ! » Voilà ce qu’on disait à celles qui ne travaillaient pas bien à l’école.
Pour la plupart des Marseillais, Belsunce est un quartier d’hommes mais les femmes, quelque soit leur place, ont toujours joué un fort rôle dans le quartier. Au tout début, le quartier était occupé par des religieuses qui vivaient dans les couvents aux anciennes limites de la ville, parce que les terrains étaient moins chers. Les rues de Belsunce portent encore leurs noms, les Dominicaines, les Petites Maries, les Récolettes, les Présentines. Ce n’étaient pas des recluses, mais des femmes extrêmement actives, vouées à l’enseignement des filles, aux soins des malades et des plus démunis.
J’ai appris tout ça quand j’ai rencontré l’association Les Femmes et la Ville. Hélène Echinard et de Renée Bensousan ont valorisé tout ce patrimoine, notamment dans le livre « Marseille au féminin : Le quartier Belsunce du Moyen Age à nos jours ». Ça m’a passionné, j’ai rejoint l’association. Aujourd’hui, j’emmène des groupes dans Belsunce et je leur fais découvrir toute une histoire cachée, à travers l’histoire des femmes qui ont joué des rôles très importants.
Personne ne sait que pendant la Révolution, les Marseillaises ont tenu à prêter le serment des citoyennes ! Il y a très peu de villes où ça s’est passé. C’était juste au carrefour de Belsunce et Canebière.
Il y a de grandes figures féminines de l’économie marseillaise. Au 18 ème et 19 ème siècles énormément de relais de poste étaient tenus pas des femmes. Et notamment celui de la rue du Relais, tenu par la Veuve Avon. Elle avait huit enfants dont plusieurs en très bas âge à la mort de son mari ; et elle a tenu son affaire d’une main de maître. L’affaire s’est ensuite passée de mère en fille ou en bru ! Il y a eu aussi la fameuse coutelière Degrand rue des Fabres, spécialisée dans la production de coutellerie et d’armes blanches en acier damassé, dont les couteaux étaient vendus dans toute l’Europe.
Pendant l’Occupation, beaucoup de femmes ont joué un rôle majeur dans la résistance, comme Anna Seghers. Ou la communiste Mireille Lauze qui fût malheureusement arrêtée, enfermée à la Prison des Présentines, où maintenant siège l’Hôtel de Région.
Le mieux pour connaître tout ça c’est encore de venir faire la balade de quartier !"
Recueil des témoignages : Sarah Champion-Schreiber
Photos : Cyril Becquart
Portrait réalisé avant la crise du COVID.