Des noms de rues (majoritairement masculins), jusqu’aux infrastructures sportives (destinées en général à un public masculin) : tout contribue à rappeler aux femmes qu’elles ne sont pas à leur place dans l’espace public, et à mettre les hommes à l’aise. C’est en tout cas, le constat que dresse le géographe Yves Raibaud dans son livre Des villes faites par et pour les hommes.

Conséquence, elles se sentent moins en confiance. Moins en sécurité aussi. Dans une enquête de 2007 de l’Institut national de la statistique, 25% des femmes sondées déclarent avoir peur dans la rue.

On a voulu vérifier sur le terrain, à Belsunce, souvent catégorisé comme « quartier chaud » ou « à éviter pour une femme seule ». Nous sommes partis questionner des habitantes et des habitants. Alors voici un agencement subjectif de quelques propos des passants du quartier, qui leur permet de dialoguer entre eux, de renchérir, de se contredire, de se nuancer.


Dior et Kals, trentenaires, rue des Dominicaines

"On est arrivés à Marseille il y a un mois et demi. Ici, les hommes et les femmes ont la même liberté de circulation. En tant que femme je ne ressens pas de discrimination. Il y a beaucoup de gentillesse, de compliments sur les enfants de la part des femmes, des personnes âgées."

Anonyme, âge inconnu, lieu égaré

"Tout à l'heure, en passant, j'ai vu (...) une dame qui en coiffait une autre (...) dans la rue."

"On se sent libres"

Laetitia, 13 ans, rue Thubaneau

"On est à l’aise dans le quartier. On se sent libres (...), on s’habille comme on veut, on est bien."

Anonyme, âge inconnu, lieu égaré

"Hier, j'ai vu des petits garçons sur des trottinettes. Et une heure après, c'était au tour des petites filles."

Anonyme, âge inconnu, lieu égaré

"J'ai rencontré Franck en lui disant : « Tu vois le yacht là-bas ? Je veux avoir le même (...) en plus petit ». On a parlé ésotérisme.

Et il y a un monsieur, à coté de la girafe, il m'a abordée comme ça : « J'ai trouvé un tome de la guerre mondiale sur Churchill ici, et après j'ai acheté les 19 autres tomes »."

Anonyme, âge inconnu, lieu égaré

"Je n’ai jamais eu peur. Pourquoi ? Les gens ne sont pas des sauvages. Ils ne vont pas me manger, je suis de la viande avariée."

Deux anonymes, trentenaires, à la terrasse d'un café

"Selon nous les hommes et les femmes sont autant respectés dans la ville. Nous, on est de la Réunion, on a la culture de la femme libre."

"Nous ce n’est pas notre style, on est des gentlemen."

Yannis et Mayas, vingtenaires, rue Mission de France 

"Certaines personnes se permettent de leur faire des commentaires (...). Nous ce n’est pas notre style, on est des gentlemen."

Houcine, âge inconnu, rue Longue des Capucins

"Il m’arrive de faire des compliments à des jeunes femmes dans la rue, quand je suis avec des copains (...) c’est toujours gentil. Quand je suis seul, je dis parfois « tu es jolie »."

Houssine, âge inconnu, rue Longue des Capucins

Samia et Inès, âge inconnu, rue Longue des Capucins

"Souvent ils font des compliments : c’est positif. Parfois ils nous considèrent comme (...) un bout de chair : c’est pas agréable."

Samira, âge inconnu, rue Thubaneau

"Moi je me sens libre d’être moi même. (...) Même si des hommes se permettent de faire des critiques ou des remarques (...) comme « t’es bonne », lorsque je porte une robe qui montre mes formes. Moi (...) je trace ma route. Je vis ma vie. (...) Ça ne m’atteint pas. J’ai toujours été comme ça."

Samira, âge inconnu, rue Thubaneau

Samia et Inès, âge inconnu, rue Longue des Capucins

"Nous, on ne calcule pas les hommes, on est dans notre monde."

Deux anonymes, jeunes, rue Mission de France

"De toute façon, il ne faut pas rester fixé sur les regards sinon, tu coules."

Jennyfer, âge inconnu, lieu égaré

"Sauf pour la bibliothèque de l’Alcazar, je ne reste pas trop à Belsunce, sinon, le soir j’ai peur de me faire siffler, alors qu’il n'arriverait rien à un garçon. (...) Nous on va à la rue Saint Ferréol, aux Terrasses du port. On y retrouve les mêmes personnes mais avec la foule, ça va."

Bibliothèque de l'Alcazar, Cours Belsunce

Deux anonymes, jeunes, lieu égaré

"On ne se sent pas respecté lorsqu'on est dans un lieu public à cause des regards insistants, des paroles déplacées...

Nous, on ne reste jamais dans le quartier, on va plutôt vers Noailles, Canebière, Vieux-Port, on passe dans le quartier seulement quand on fait nos courses. On a peur de sortir le soir car le quartier n'est pas un lieu sécurisé."

Houcine, âge inconnu, rue Longue des Capucins

"Une femme évite certains endroits parce (...) qu’ils lui déplaisent, pas parce que c’est (...) interdit."

Samia et Inès, âge inconnu, rue Longue des Capucins

"Les femmes sont de plus en plus libres dans les villes ! (...) Bien sûr, (...) cette liberté dépend du milieu dans lequel on évolue. Nous, on vient de Montpellier. C’est tranquille. On a plus peur à Marseille (...) à cause des rumeurs qu’on entend."

"Ils n'ont pas honte, c'est grave!"

Alice, âge inconnu, lieu égaré

"À chacun son intimité dans l’espace public. Tu aimerais qu’on vienne te frotter, te toucher ? Une personne qui sort, veut prendre l’air, oublier ses soucis, et non pas se sentir oppressée! Parfois même les hommes te regardent alors qu’ils sont en voiture avec leur femme ou leurs enfants. Ils n’ont pas honte, c’est grave ! On ne peut rien dire, sinon ils nous font passer pour des folles. La femmes est infériorisée. "

Houssine, âge inconnu, rue Longue des Capucins

"Les femmes aussi parlent librement dans le quartier! Elles ne draguent pas mais elles expriment leur opinion. (...) Elles peuvent aussi insulter, crier !"

Alice, âge inconnu, lieu égaré

"On sent les regards, mais on n’ose pas se retourner, ils (...) croiraient qu’on va satisfaire leurs attentes. (...) Il faudrait peut être (...) leur faire comprendre. Mais on n’ose pas."

Soumaya, âge inconnu, lieu égaré

"La nuit, les femmes marchent vite, tandis que les hommes marchent normalement. Ils peuvent nous interpeller (...) et se permettre d'avoir des comportements réservés à l’espace privé. C’est intrusif."

Zora, âge inconnu, lieu égaré

"L’espace public c’est un espace avec des lois, on vit en communauté, on doit se respecter tous ensemble. Dans les endroits où il y a du monde, on se sent en sécurité, on se sent moins bien le soir. Etre dehors le soir, c’est mal vu pour des filles, (…) pas pour les garçons. On ne se sent pas en sécurité, avec des hommes qui sortent d’on ne sait (...) où, dans les ruelles.

On a peur, on est des proies. Ce serait bien une ville où on serait moins mal perçues, une ville où la différence se respecte, quelle qu'elle soit. "

"La rue, c'est l'espace de l'homme"

"J’ai envie de leur demander « tu n’as pas de fille ? Tu n’as pas de sœur ? ». (...) La rue c’est (...) l’espace de l’homme, ils interpellent, (...) comme si (...) ce territoire leur appartenait.

Ils te repèrent de loin, ils (...) cherchent une discussion. Alors qu’on est simplement là pour discuter avec une copine avant de rentrer chez nous."

Anonyme, la quarantaine, rue Saint Dominique

"Je pense que c'est une question de culture. Certaines personnes pensent qu'il y a deux types de femmes, la femme respectable qui reste à la maison, et la fille « facile »."

"Les hommes sont au café mais pas les femmes"

Yannis et Mayas, vingtenaires, rue Mission de France

"Il n’y a pas véritablement d’égalité entre les hommes et les femmes, même si c’est mieux que dans d’autres pays. Dans ce quartier, c’est comme au bled, – comme en Algérie – les hommes sont dehors, au café, mais pas les femmes."

Anonyme, trentenaire, à la terrasse d'un café

"Je me sens bien dans la rue, (…) mais je sortais plus souvent avant de devenir mère."

Anonyme, la quarantaine, rue Saint Dominique

"Il y a trop d'hommes dans les cafés. Passer sans se faire aborder est impossible, (...) un peu comme dans la chanson de Gainsbourg '' tu m'envisage tu m'dévisage''. Malgré tout, c'est un quartier agréable, il y a de l'entraide."

Samia et Inès, âge inconnu, rue Longue des Capucins

"C’est pire encore si c’est un vieil homme qui nous aborde!"

Samia et Inès, âge inconnu, rue Longue des Capucins

Anonyme, âge inconnu, lieu égaré

"Ma fille (...) a la tête sur les épaules, elle ne parle pas aux gens."

Anonyme, la quarantaine, rue Saint Dominique

"Ma fille de 15 ans n’arrête pas de se faire brancher. (...) C’est lourd. Il n'y a plus de pudeur. (...) Du coup je lui ai interdit (...) de sortir en short ou en jupe ici. Si c'était différent, je lui aurait autorisé."

Alice, âge inconnu, lieu égaré

"Si tu portes une jupe, tu marches doucement, (...), tu tiens ta jupe, tu fais attention, alors qu’avec le short, l’homme est tranquille, lui, (...) il court."

"Une femme torse-nue, ça choquerait"

Soumaya, âge inconnu, lieu égaré

"Pour les hommes, le port du t-shirt semble facultatif, alors qu’une femme (...) en maillot de bain, ou même torse-nue dans la rue, ça choquerait, ça paraitrait anormal. (...) C’est inégalitaire. (...) Une femme torse-nue ne devrait pas choquer, puisqu'on ne dit rien aux hommes."

Himen, âge inconnu, lieu égaré

"A Belsunce il y a beaucoup de mélanges. On devine que certaines femmes sont musulmanes à leurs tenues vestimentaires. La religion ne se voit pas chez les hommes."

Anonyme, âge inconnu, lieu égaré

"Avant, des hommes et des femmes me crachait dessus et m'insultaient, pendant ramadan. Depuis que j'ai le foulard, c'est mieux. Mais ce n'est pas pour cette raison que je le porte. (...)"

Propos recueillis par Thomas, Alice, Sarah, Fernanda, Marilou, Martine, Jawad.